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Quels conseils donneriez-vous à un jeune auteur pour débuter ?

Avant tout, une petite précision s’impose : je suis moi-même un jeune auteur, les conseils que je donne ici sont donc à prendre avec le recul qui s’impose. Il ne s’agît ni de l’unique vérité, ni de « ce qu’il faut absolument faire ». Rien que mon avis.
Je dirais qu’il faut commencer par écrire pour soi. Se faire plaisir, se raconter une histoire. La rêver, et y travailler jusqu’à ce que la mise en forme corresponde exactement à celle que vous aviez en tête. Ne surtout pas relire une phrase en se disant : « ouais, c’est pas top mais c’est à peu près ça. » Non, on commence comme ça et on finit avec 400 pages à jeter.
Il faut concilier plaisir et exigence.
Et rigueur.
Parvenir à coucher sur le papier ce qui trotte dans notre tête n’est pas si simple qu’on pourrait le penser. C’est un accouchement bien particulier, et en général douloureux les premières fois. C’est pourquoi il faut écrire, toujours et sans cesse.
Ecrire pour apprendre de soi. De ses qualités et de ses faiblesses.
Améliorer la liaison entre l’éthéré du cerveau et le concret des mots.
Et en ce sens, l’écriture n’est rien d’autre qu’un sport.
On obtient des résultats à la mesure des efforts et du temps consacrés à s’entraîner.
On a bâti quelques mythes sur le génie fabuleux capable de pondre un chef-d’œuvre du premier coup en écrivant une fois de temps en temps. Mais c’est un peu comme ces alligators dans les égouts new-yorkais, tout le monde en parle, personne n’en a jamais vu.
Ne pas croire aux miracles et se contenter de travailler pour avoir.
Voilà qui est plus sain.
Et plus rassurant.
Autre chose ? Oui.
Soigner la forme, j’entends par là la langue. Ce n’est pas parce qu’on écrit du thriller ou de la science-fiction qu’il ne faut pas connaître ses figures de styles, avoir peu de vocabulaire ou ne pas soigner ses descriptions. Je m’efforce, livre après livre, de progresser, d’apprendre plus, de préparer chaque chapitre avec un maximum d’exigence, d’y travailler mes champs lexicaux, et ainsi de suite… Attention : si vous n’avez pas une orthographe exemplaire, ça n’est pas la fin du monde ! Avec le temps cela se corrigera (je suis bien placé pour le savoir, si vous aviez vu mes notes de dictée à l’école, j’étais un cas désespéré…), ça ne tient qu’à vous, en revanche, jongler avec le sens, soigner le fond autant que la forme, sans cesse savoir qu’un synonyme ne se choisit pas selon sa beauté esthétique mais selon les nuances qu’il apporte sur son comparse et qui se rapproche le plus du sens qu’il vous faut, voilà ce qui compte. Travailler la sémantique de ses phrases, ce qu’elles disent, et ce qu’elles sous-entendent. Puis faire de même pour un paragraphe. Puis pour un chapitre. Et pour le roman.
L’explicite et l’implicite sont essentiels.
On raconte une histoire, mais on va plus loin que ça. Je vous invite à faire un tour dans les making-of de mes romans dans la partie du « Labo » qui leur est consacrée, où j’approfondie un peu cette question.
Retenez une chose : soignez vos mots et leur sens !
De là découle un commandement légitime : ami(e), il faut LIRE.
Lire, lire et lire. Et lire encore.
Et lorsque vous aurez terminé ?
A votre avis ?
Lire.
Le bagage littéraire qui nous entoure est déjà si vaste qu’il constitue le meilleur professeur que vous trouverez sur cette planète. Outre les bonheurs inhérents à la lecture en soi, elle permet de déchiffrer les petits secrets et les méthodes des romanciers, d’apprendre comment ils parviennent à nous transporter de la sorte, à faire jaillir de l’émotion dans nos cervelles si solitaires rien qu’avec des assemblages d’encre sur du papier.
Tout ce qui s’apprend se trouve dans les romans. Il suffit de lire.
Et ensuite de vous entraîner.
Viendra alors l’autre étape.
Le jour où vous estimerez que votre manuscrit est achevé, qu’en toute objectivité (c’est là que ça devient drôle en général) vous avez obtenu un résultat satisfaisant et que vous pouvez le faire lire.
Alors, avant toute autre chose, entraînez-vous à faire entrer un coq dans un dès à coudre.
Faire taire votre ego au profil de votre talent d’écoute.
Croyez-moi, c’est difficile pour tout le monde. Mais on finit par y arriver, plus ou moins bien.
Les critiques vont pleuvoir (à ce sujet, ne commencez pas par faire lire votre livre à votre mère, gardez ce joker pour le moment ou vous aurez besoin d’un avis pas du tout objectif qui viendra vous rassurer au milieu de toutes les critiques destructrices).
Ecoutez tout ce qu’on vous dira.
Ne faites surtout pas tout ce qu’on vous dira.
A votre bon sens de trancher.
Encore que si 70 personnes vous font remarquer que l’absence de toute ponctuation est tout de même fort préjudiciable à la bonne lecture du livre, il faudra peut-être songer à les écouter.
Ensuite laissez votre texte faire du tiroir.
Enfermez-le à triple tour dans un coffre sous terre à l’autre bout du monde et repartez vivre votre vie pendant quelques mois. Pendant ce temps vous pourriez… écrire, autre chose. Ou lire. Ou les deux (encore mieux).
Puis, un beau jour, vous allez reprendre ce manuscrit que vous n’avez plus relu depuis trois mois, et le relire tout doucement, un stylo rouge à la main.
A la fin, vous saurez s’il vous faut reprendre les corrections ou s’il est préférable de passer tout de suite à la rédaction d’un autre roman, laissant un petit tas rouge et noir (plus de blanc, non) derrière vous.
Voilà, ça n’est pas une méthode garantie 100% comme toutes les méthodes différentes qui vous promettent d’arrêter de fumer lorsque vous serez mort, mais c’est ma façon de faire à moi… Si ça peut vous éclairer.
Pour conclure, je vous dirai que lorsque j’écris un roman, je passe plusieurs mois à le préparer, à en faire une structure complexe, je crois très fort à cette façon de procéder, et elle marche pour moi.
A titre indicatif (pour illustrer la subjectivité des méthodes), je citerai Philip Pullman, l’auteur pour adolescent, qui disait quelque chose comme : « Vous souhaitez écrire un roman ? Très bien, alors munissez-vous d’une très grande feuille de papier et de nombreux post-it. Sur chaque post-it vous allez écrire une idée pour votre livre, un lieu, un nom de personnage, et ainsi de suite jusqu’à ce que tout votre livre soit résumé sur ces post-it. Ensuite vous allez passer le temps nécessaire à tout assembler dans le meilleur ordre possible sur la grande feuille de papier. Une fois que vous aurez terminé, vous aurez la structure de votre livre. A partir de là, vous pourrez tout prendre, et tout jeter. Car je pense que ça ne sert à rien. Mieux vaut se lancer une fois qu’on se sent prêt, et voir comment les choses s’imbriquent d’elles-mêmes, au fur et à mesure. »
Voilà, comme quoi…


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