Je suis né en 1976, l’année où Agatha Christie nous a quittés.
Enfant, je m’interrogeais sur l’existence de la réincarnation, j’épluchais les dictionnaires pour voir quelles célébrités étaient mortes mon année de naissance, des fois que…
À devoir se réincarner, autant ne pas choisir les plus mauvais !
Il n’y avait que la célèbre romancière anglaise que je connaissais (Howard Hugues ou Fritz Lang n’avaient, pour l’heure, aucune importance à mes yeux). J’avais lu les « Dix petits nègres » (l’ouvrant la première fois avec un dégoût certain pour ce récit que je croyais être un tantinet raciste à cause du titre…). Envisager être la réincarnation d’Agatha Christie ne m’enchantait guère. J’avais espéré quelques noms plus célèbres, plus épiques, peut-être un Tom Sawyer, ou un Robin des Bois, éventuellement Albator ou même Casimir auraient pu faire l’affaire.
Mais non, il fallait que ce soit Agatha Christie.
À cette époque, cela m’a semblé bien triste.
Maintenant que mon regard sur la Reine du suspense a changé, je ne crois plus en la réincarnation.
C’est bien dommage…
Tout ça pour dire : 1976.
J’ai donc grandi dans les années 80, avec la chanson « Russian » de Sting, et le père d’un ami qui se plaisait à nous expliquer comme la paix dans le monde était virtuelle, et comme nous risquions à tout moment de nous prendre une bombe nucléaire sur le nez.
Pas rassurant tout ça… Probablement la raison pour laquelle j’ai de suite adoré les films de monstres. À devoir mourir jeune, autant que ce soit à lutter contre des créatures infernales avec les copains et des jolies filles plutôt que seul sous les rayons radioactifs d’une lâche bombe tombée sans prévenir.
Mes meilleurs souvenirs de préadolescent c’est la télé dans ma chambre.
Je la dois à des parents ouverts à la modernité je suppose. Tout était dans la confiance, je pouvais la regarder quand je voulais, à condition de ne pas abuser…
Je la regardais donc le soir, une fois qu’on m’avait ordonné d’aller me coucher.
« La dernière séance » était mon émission préférée. Eddy Mitchell, un jour si vous lisez ces lignes, soyez béni et sanctifié pour m’avoir ouvert les yeux sur le monde formidable du cinéma.
D’ailleurs, à l’été 2010, j’étais dans une boutique lorsque j’ai réalisé que le type devant moi avec qui parlait l’équipe du magasin était le Grand Eddy himself ! Pendant cinq minutes j’ai réfléchi à comment l’aborder pour le remercier, me présenter, lui dire que j’étais devenu romancier en partie grâce à sa « dernière séance » - émission comme chanson d’ailleurs. Puis au moment d’agir, je l’ai regardé partir comme un môme dévisage son idole, incapable d’ouvrir la bouche. A quoi bon l’embêter avec cela ?
Le cinéma donc. Première source d’inspiration.
Les westerns, les films fantastiques et science-fiction des années 50-60, les polars noirs, bref la vie, la vraie. Ou presque.
En tout cas celle qui me plaisait bien plus que l’autre, celle de l’école, des devoirs interminables, des profs acariâtres (pas tous !), la vie des déceptions en somme. Celle où la moindre aventure ne débutait jamais, ou l’action était toujours dramatique, ou la bonne réplique ne venait jamais au bon moment…
Et donc, pour combler cette déception croissante, je me suis mis à écrire.
Le résultat, quelques années plus tard, vous pouvez le trouver dans la rubrique « bibliographie », et manifestement je continue à en garnir les étagères…
Écrire pour quoi, pour qui ?
Pour moi, égoïstement, dans un premier temps. Pour me raconter l’histoire qui me fait frissonner le plus, qui m’apporte le plus d’émotions, et qui m’interpelle. Puis pour l’autre.
Pour vous.
À chaque fois que je me relis, je cesse d’être dans le plaisir personnel, mais j’envisage le lecteur. Je m’interroge sur sa perception de ma phrase. Sera-t-il passionné comme moi ? Vais-je le secouer comme cette histoire m’a étourdi ?
Écrire pour se sentir moins seul aussi. La lecture c’est un moyen de s’isoler tout en étant plus proche mentalement que nous ne le serons jamais. Lire c’est conjuguer nos solitudes mitoyennes.
C’est le paradoxe de la littérature. S’isoler cérébralement du reste du monde pour écrire ou lire, afin d’être moins seul dans sa tête. Je trouve cela joli. Une faiblesse digne. Le juste équilibre d’une schizophrénie maîtrisée, utile pour affronter l’existence.
Et en cela, je ne vous cache pas que le succès d’un livre rassure…
J’écris pour me divertir, pour conjurer la solitude, mais plus encore, pour vivre. Pour croire.
C’est ma religion à moi.
Car l’homme sans spiritualité est une enveloppe vide. J’ai choisi un Dieu que je manipule à loisir, celui des mots. L’imagination est mon église, mon temple. Mes cahiers de notes mes autels.
Buvez mon encre, mangez mes pages, ceci est mon corps.
Ceci est ma vie.
…
D’accord, ça va trop loin. Soyons plus réaliste : je pense l’écriture comme un but.
Pour mieux comprendre les hommes. La société.
Et pourquoi écrire des histoires aussi noires parfois ? Parce que notre civilisation s’est bâtie tout autant sur ce qui était conscient que ce qui était inconscient. Notre part d’ombre a influencé grandement notre trajectoire actuelle.
Écrire des histoires sombres, c’est explorer l’ombre en chacun de nous.
C’est mieux nous comprendre.
Mieux comprendre cette société et ses déviances. Plonger dans les fondations qu’on oublie, regarder et explorer ce qui est sous la structure, d’un homme, d’un comportement, d’une ville, d’une histoire, d’une société, de l’Histoire.
J’écris pour me rassurer, pour explorer, pour comprendre.
Et pour cela, il m’arrive d’aller puiser là où nous n’allons pas naturellement.
Dans notre part d’ombre la plus profonde. Les « abysses » de Nietzsche.
C’est ma psychothérapie à moi.
Et manifestement, compte tenu du succès des livres de ce genre, la vôtre également.
Bienvenue sur le divan…
Maxime Chattam.
Pour plus de détails sur la biographie de Maxime Chattam :
http://www.maximechattam.com/fr/auteur.php?page=bio